Le suivi de projet n’est vraiment pas appréhendé de la même manière, que l’on soit dans l’informatique, dans la construction de maisons individuelles ou dans les travaux de terrassement par exemple… notamment pour ce qui concerne le recalage du planning au fur et à mesure de l’avancement du projet !
Ce n’est pas faute d’avoir tout essayé pour faire bouger les lignes et prêcher pour ma paroisse. Fervent défenseur du « planning fidèle à la réalité » pendant des années, je me suis vu petit à petit reconsidérer mes vérités au gré des rencontres…
Le débat se trouve chez les professionnels du terrassement qui bâtissent des plannings chemin de fer depuis la nuit des temps (hier à la règle et au compas, aujourd’hui à l’aide d’outils spécifiques – Tilos ou Dynaroad). Par le manque de logiciels idoines pendant des années, des habitudes de travail ont été prises, habitudes difficiles à faire évoluer pour de nombreuses raisons.

Pourquoi le recalage du planning se fait rare sur des chantiers de terrassement ?

  • Le planning « chemin de fer » vu comme un dessin : les plannings « chemin de fer » étaient hier dessinés à l’aide d’outils comme EXCEL ou AUTOCAD. La conception d’une telle œuvre demandait d’ailleurs une certaine patience… La mettre à jour impliquait des qualités surhumaines. Quand je rencontre des clients lors de missions d’accompagnement, il n’est pas rare d’évoquer leurs besoins en main d’œuvre pour leur projet. Hier encore, l’un d’entre eux me disait qu’il cherchait un « projeteur TILOS »… lapsus révélateur !?
  • Grâce au « fil rouge », les retards sont plus faciles à identifier : La technique du fil rouge est sur le planning chemin de fer un moyen très ludique pour observer les retards (attention, pas leurs impacts). Il s’agit de tracer un trait à la date de reporting et de le « créneler » en fonction de l’avancement des différents ouvrages.
  • Deux aléas majeurs dans le terrassement : la météo et la géotechnique. Les rendements utilisés sur les plannings tiennent en général compte des intempéries (moyenne mensuelle). En pratique, les rendements sont beaucoup plus élevés quand les conditions sont favorables, nuls ou presque quand au contraire la pluie est au rendez-vous. Il n’est donc pas pensable de suivre à la lettre la pente « objectif » du planning « chemin de fer » puisqu’elle n’est en réalité que la représentation d’un rendement moyen. L’aléa le plus complexe à gérer est l’aléa géotechnique, responsable à la hauteur de 60% à 80%  des dépassements du coût prévisionnel des travaux : des extractions non prévues d’un mauvais sol en vue de son remplacement (purges), l’augmentation de la mise en dépôt définitif de matériaux non réutilisables, des volumes de déblais plus importants que prévus, des remblais également plus importants pour adoucir certaines pentes, etc. Il peut cependant être limité en fonction de la qualité des études, mais il n’en reste pas moins un frein aux velléités d’obtenir un planning conforme trait pour trait au « réalisé ».
  • Le planning chemin de fer, préalable indispensable pour gérer les interfaces avec les différents corps d’états et autres parties prenantes. Le planning CDF est l’outil idéal pour organiser son chantier et le déplacement de ses ateliers (scraps, pelles, etc.). Les « terrassiers » doivent tenir compte des contraintes de leurs partenaires « ouvragistes », pour notamment mettre à disposition en temps et en heure les accès, pistes et plateformes ou encore réaliser les blocs techniques. La réciproque est toute aussi vraie d’ailleurs, puisque les « terrassiers » exigent certains jalons des « ouvragistes », notamment pour emprunter les ouvrages pour les transports de matériaux. En terme d’interfaces, les grands projets d’infrastructures ont inévitablement des impacts sur les réseaux avoisinants (ferrés, routiers, gaz, eau, électricité). Ces interfaces imposent également des contraintes calendaires et spatiales. Face à de tels enjeux (organisationnels, techniques, contractuels, financiers), nul ne peut s’exonérer du planning CDF pour anticiper les zones conflictuelles, mieux définir les priorités, trouver des consensus et contrôler la cohérence des choix effectués. Recaler le planning sur de tels projets en cas d’écart constaté entre le planifié et le réel est tout simplement inenvisageable. On préfèrera toujours doubler ou tripler les postes pour tenir les délais. En cas de dérapage, bien entendu l’option sera reconsidérée. Ne pas recaler le planning ne sous-entend pas que les « terrassiers » le négligent, bien au contraire. Seulement, le suivi se fait généralement avec des outils plus spécialisés, actualisés directement par les responsables travaux qui remontent quotidiennement ce qui a été fait.

Les limites ?

  • Une analyse plus difficile des écarts entre référence et projection (forecast)
    Quand on opère un suivi d’avancement dans un logiciel de planification, il est intéressant de définir comme référence (baseline) le planning initial et de le faire évoluer au gré de l’avancement reporté (quitte à partir du principe que l’on conserve, autant que faire se peut, les dates de fin initiales – d’où inévitablement des changements de rendement).
    Ainsi, des indicateurs précis peuvent en découler comme :

    • le SPI (Schedule Performance Indicator)
      ou IPA voir IPP en français (Indice de Performance de l’Activité ou du Planning) : Il donne la mesure de la valeur gagnée cumulative sur la somme des valeurs planifiées des tâches prévues à date. Un indicateur à 100% signifie que l’équipe a pleinement respecté le budget. Un indicateur inférieur à 100% implique en revanche que l’équipe a accompli moins de tâches que prévu. Le contraire au-delà de 100%.
      Il se calcule de la manière suivante : SPI = EV / PV (Earned Value / Planned Value)
      Prenons un exemple simple : Nous venons d’excaver 2000 m3 alors qu’à date nous aurions dû en extraire 3000 m3.
      Le SPI est donc égal à 0.67, soit 67%.
    • le CPI (Cost Performance Indicator) ou IPC (Indice de Performance des Coûts) représente la quantité de travail accomplie pour chaque euro dépensé. Un indicateur à 100% signifie que pour 100 euros de travail planifié 100 euros ont été dépensés. Un indicateur à 80% met en évidence la réalisation d’une valeur de 80 euros pour 100 euros dépensés. Un IPC de moins de 100% peut donc indiquer que le rendement de l’équipe du projet n’est pas aussi bon que prévu, ou que le budget initial était trop serré pour la quantité de travaux à accomplir.
      Il se calcule de la manière suivante : CPI = EV / AC (Earned Value – Actual Cost).
      L’absence de recalage du planning en fonction de l’avancement signifie que l’on ne fait pas évoluer la référence. Il est donc impossible d’analyser les impacts et d’en déduire la performance.
  • Non visualisation de l’incidence des retards sur l’ensemble des tâches et du chemin critique. Ne pas recalculer son chemin critique après avoir reporté de l’avancement empêche de voir les impacts sur les dépendances et donc le chemin critique. Il faut donc qu’une gestion parallèle soit opérée via un outil tiers pour appréhender les risques de dérives et réagir. Une mise à jour à chaque fin de saison de terrassement est de toute façon indispensable sans quoi le planning CDF ne veut plus rien dire.
    Attention : Multiplier les outils pour contrôler ce qu’on peut présenter (notamment à cause de la dimension politique et/ou stratégique), peut engendrer des redondances et, faute d’actualisation automatique… des dissonances !